Engagé volontaire incorporé le 7 décembre 1939 au 17e dépôt de cavalerie de Montauban. Élève officier de réserve (EOR) de l’école de cavalerie, il participe à la défense de Saumur du 16 au 22 juin 1940.
Le 19 juin 1940, la 22e brigade du lieutenant Rezel prend position au Breil confluent du Thouet avec la Loire. Elle cantonne à Beaucheron, hameau de Verrie.
Le 20 juin, la brigade rejoint le Pont Fouchard puis le carrefour Cholet-Thouars. GR, envoyé en reconnaissance, traverse le Thouet à la nage manquant de se noyer. La brigade décroche ensuite vers le sud mais est encerclée le lendemain. Avec deux camarades, il se cache dans les bois jusqu’au 23.
Ils sont alors fait prisonniers et envoyés au camp de Millet (peut-être Montreuil-Bellay à 15 km au sud) puis celui de Bourgueil. Le 30 juin, les EOR toujours prisonniers rejoignent leur école à pied. Ils la quittent le 4 juillet, atteignent la ligne de démarcation à Loches le 6. Au total, environ 150 km à pied. Après un lent périple, les « cadets de Saumur » rejoignent enfin Montauban le 4 août 1940. GR est démobilisé le 7.
voir aussi la carte IGN des années 1950.
Source
▫ Carnet de route (certains passages peu lisibles)
Au camp des prisonniers de Bourgueil, ce 27 juin 1940.
Après les problèmes de la nourriture et du couchage qui prennent une importance primordiale pour des gens affamés et avides de repos se pose pour un prisonnier le problème de l’utilisation des loisirs et pour combler les longs moments d’inaction qui séparent les soi-disant repas, j’ai entrepris aujourd’hui de mettre de l’ordre dans mes souvenirs. Il y aura peut-être quelques anachronismes, car j’ai quelque peu perdu au cours de mes péripéties le sens du temps.
C’est au début de juin que la ville de Saumur a connu les préliminaires de ce j’appellerai la bataille de Saumur.
Ma brigade gardait le pont de Montsoreau lorsqu’à minuit nous perçûmes un incendie sur Saumur. Quelques minutes avant des camarades avaient perçu le bruit caractéristique des moteurs des avions allemands. À minuit dix, confirmation nous était donnée par téléphone : 8 avions allemands avaient lancé des bombes détruisant quelques maisons et faisant quelques victimes. Plus tard ce fut le pont de chemin de fer qui fut l’objectif de nos ennemis, sans succès d’ailleurs. Les alertes se multiplient désormais sur la ville et l’on sent croître la menace d’un bombardement en règle. À quelques temps de là, les élèves de l’école de cavalerie reçurent la mission de reconnaître dans leurs détails la Loire et ses abords, en vue d’une installation défensive.
Dès lors, les évènements allaient se précipiter.
Le 15 juin à l’appel du soir la décision du colonel nous fait connaître que les cours sont suspendus. Les escadrons d’instruction sont transformés en escadrons de guerre. Nous accueillons avec enthousiasme cette promotion qui va faire de nous des combattants. Le 16 et le 17 se déroulent les préparatifs : chaque élève reçoit des vivres de guerre : biscuits, chocolat, conserves. Nous touchons munitions et paquets de pansements. Et nos armes étant vérifiées et graissées nous attendons les ordres. Tout autour de nous chacun s’affaire à embarquer des munitions de réserve, à faire tourner les moteurs et mettre en état tout le matériel utilisables. Les services emballent leurs archives et leur matériel. Les souvenirs et les trophées du musée sont clos dans des caisses. Spectacle très pénible. L’EMR part en direction de Montauban : il sera mitraillé en route.
Le 17 à 13 h par la radio du mess nous apprenons que le Maréchal Pétain a demandé l’armistice. C’est une des minutes les plus pathétiques que j’ai jamais vécues. Officiers et élèves ont pleuré de rage et de douleur ce jour là. Cependant les divers escadrons partent occuper leurs positions respectives et bientôt l’école n’est plus qu’un bâtiment aux longs couloirs vides et monotones. Seuls sont restés quelques tableaux d’honneur. On y lit Lyautey, Weygand… Le 18 à 21 h mon escadron qui était resté le dernier dans la cour est alerté à son tour. Les allemands arrivent sur l’autre bord de la Loire. Dans la cour du stade nous entendons de nos véhicules de très violentes explosions : ce sont les ponts qui sautent.
Le 19 à 2 h du matin nous occupons nos emplacements de défense. Je suis sur un rebord de fossé. Soudain une détonation, un miaulement à mes oreilles et un obus fusant éclate dans l’arbre voisin. Je me plaque au sol instinctivement et mon voisin, un noir roule de grands yeux blancs effarés. Cependant une fusillade nourrie éclate aux abords du pont ponctuée par le son sec des mitrailleuses. Les (nebelwerfers ?) complètent le concert et la cadence s’accélère. Maintenant les canons allemands, des 77 sans doute, s’en mêlent et la canonnade dure toute la nuit. Le matin elle devient plus violente. Ma brigade est toujours dans le Brey [le Breil]. J’ai creusé un trou où me fourrer à l’abri et… sans me faire prier !
À 15 h 30 relève. Nous partons en cantonnement à Beaucheron. Là nous apprenons que le pont de Gennes est sérieusement pris à partie. À 18 h environ, mon lieutenant m’indique que dans la nuit nous aurons à appuyer le décrochage du 19e dragon qui craint un violent bombardement. La population fuit toujours. Nous ne dormons pas évidemment. Nous ne sommes pas ravitaillés et la fatigue nous gagne. Au loin la (canonnade ?) continue.
Le 20 au matin nous quittons Beaucheron en direction de Saumur. En cours de route alerte aux avions. Nous sauvons les véhicules et nous cachons dans les taillis. Nous débarquons enfin aux environs du pont Fouchard. Les GC [groupes de combat ?] se forment et nous entamons une marche d’approche dans les rues désertes jusqu’à environ 500 m du Thouet. Là je pousse une reconnaissance mais oublié par mon chef de groupe je perds mon groupe. Je le retrouve enfin et fait un moment fonction d’agent de transmission (ce qui n’est pas la planque). Toute la nuit et une partie de la matinée les Allemands font sur Saumur une importante préparation d’artillerie. Nous sommes tournés vers la gauche du côté du pont puis débordés vers la droite. Piqués d’avions. Nerfs tendus. Ordre nous donné de tenir jusqu’à la dernière cartouche. Pourtant la position n’est pas [illisible] intenable. Tant pis pour nous. Les Boches avançant, le bombardement se rapproche. Je gage que dans un quart d’heure il n’y aura pas un survivant ici et je me résigne…
Quelques (minutes ?) passent et brusquement nous recevons l’ordre de décrocher. Nous filons au carrefour de Distré. Désarroi. Un char a été transpercé de part en part. Son officier est tué. Nous sommes débordés de partout. Rembarquement et nous allons au carrefour Cholet-Thouars. Là je pars en patrouille.
Avec un volontaire nous traversons le Thouet à la nage pour trouver le contact. Nous rampons pendant 600 m presque complètement nus, sans autre arme qu’un couteau. Nous ne trouvons rien. Et comme nous avons largement rempli la mission nous faisons demi-tour. Je manque de me noyer d’épuisement, et (m’en sors ?) par un effort désespéré. Après je ne sais plus. Mes camarades m’ont dit que j’avais déliré pendant 2 h. Ils ont craint que j’y passe une deuxième fois. Je me souviens du réveil. J’étais à moitié nu. J’ai entendu « Décrochez ! Décrochez ! ». Je me traîne jusqu’aux véhicules sans forces, pieds nus, sans armes. Au loin Saumur fume.
Le 21 à 3 h du matin nous arrivons dans un bois. Je me jette par terre et je dors. Le froid me réveille à 8 h et j’apprends que nous sommes complètement cernés. Ordre nous est donné de jeter nos armes car toute résistance est désormais infructueuse et ne ferait qu’aggraver les pertes. (Victoire ?) je trouve une paire de savates. Avec deux copains nous fuyons et nous voilà trois dans un coin de bois. Les autres sont tués, blessés, dispersés, enfuis. La question maintenant est d’essayer de vivre ici jusqu’à l’armistice qui doit être proche.
Nous vivons ainsi traqués pendant près de 60 h. Nous entendons les colonnes blindées ennemies rouler non loin de nous. Le soir les Boches chantent dans le village. Une patrouille passe à 20 m de nous sans nous voir. L’orage s’en mêle et nous voilà à détremper jour et nuit, affamés, sans cesse aux aguets. Bientôt il faut choisir entre trois solutions, ou fuir dans les bois profonds sans vivres, sans armes, sans rien et c’est crever de faim ou bien essayer de se ravitailler sans être pris ou bien se rendre. Les vivres baissent, reste un demi repas. Plus à boire.
Le 23 au matin nous quittons le bois, à bout de forces et les nerfs brisés. À midi nous sommes pris et dirigés sur le camp de Millet. Là nous avons connu le vrai troupeau humain, l’humiliation et les privations qu’il impose. Cette vie derrière les barbelés, à tous les temps est une sérieuse épreuve. Le 25 nous retrouvons le reste des EOR et sommes dirigés sur Bourgueil. Là notre condition s’est progressivement améliorée et la vie devient supportable. L’espoir de la libération donne du cran et j’espère que dans quelques jours nous seront remis aux Français.
Le dimanche 30 juin nous avons la messe […]
Ce même jour nous partons à pied pour Saumur où nous réintégrons les locaux de l’école. Étape très dure de 22 km sous la chaleur. Population accueillante en général.
Mardi 2 juillet, 10e jour. Nous sommes réinstallés dans l’école, nous couchons dans nos lits et c’est beaucoup. Mais une très grande fatigue pèse sur moi d’autant plus que nous avons fort peu à manger et ce peu n’est guère nourrissant. Les journées sont longues, tristes, monotones. Des journées de captifs, quoi !
Le jeudi 4 nous quittons l’école de Saumur. Après deux jours et demi de marche, nous atteignons Loches après 92 km de marche et franchissons la zone occupée dans des conditions extrêmement pénibles. Le samedi à 12 h exactement nous cessons d’être sous l’autorité allemande et à 13 h nous cantonnons à Ferrière-sous-Beaulieu. Premier cantonnement en zone non occupée. En faisant le bilan je constate que depuis le 25 juin j’ai parcouru 150 km environ. Étant bon marcheur j’ai pu arriver sans blessures ce qui m’a permis de rallier en les aidant près de vingt de mes camarades malades ou éclopés : j’allais les chercher à un ou deux km du cantonnement et les soutenais portant leurs bagages. En courant, la route paraissait moins longue. C’est ainsi que j’ai découvert « des amis de mes amis ».
Le dimanche 7, des élèves de l’école ont chanté la messe. L’après-midi nous avons reçu les félicitations du capitaine commandant notre échelon de combat pour notre défilé au pas cadencé à travers Loches après de si dures étapes. J’ai omis de noter que l’école avait eu les honneurs de la presse allemande pour sa résistance sur la Loire. Ce qui nous a valu du commandant de la division allemande l’autorisation de revenir en France en territoire libre, à nos risques et périls bien entendu. Le lundi 8, 17 km, cantonnement à Saint-Cyran-du-Jambot.
Le jeudi 11, le général Mouton est venu. Il résulte de sa déclaraion
1. que l'école de Saumur a sauvé son honneur en combattant,
2. que ce combat a permis d’éviter que l’armée de Paris soit prisonnière,
3. que les élèves feront l’objet d’une citation collective.
Ciran, 23 juillet. Nous logeons à quatre dans une buanderie. Nous sommes bien mais nous nous ennuyons. Que de temps perdu ! Les chevaux de sont pas encore arrivés […] Chauvigny, Parzay-le-Sec […]
28 juillet, Le Blanc [à l’époque important nœud ferroviaire]. 29 juillet, reçu les premières nouvelles depuis le 7 juin, soit 52 jours. Reçu un mandat qui tombe on ne peut plus à point. 30 juillet, la grande question est d’avoir un train […] Nous retrouvons les chevaux de l’école. D’où abreuvoir, pansage, promenade des chevaux, etc. Bref tous les empoisonnements d’un cheval sans les avantages. J’espère que cela ne durera pas trop car je n’aime pas du tout ce genre d’exercice […]
Montauban 4 août, téléphoné chez moi. 7 août démobilisé.
Rengagé pour deux ans le 23 mai 1941, il est affecté à l’infanterie coloniale en Indochine. Il embarque le 10 septembre 1941 à Marseille à bord de l’Éridan à destination de Haïphong mais son voyage est interrompu pour raison médicale (a priori pour un problème de sciatique) et il est débarqué à Casablanca le 28 novembre. Il est affecté à compter du 1er décembre au 6e régiment de tirailleurs sénégalais à El Jadida. Il résilie son contrat le 1er mai 1942 probablement parce que ce sont de multiples et dures tournées de police qui font office d’entraînement militaire.
Du 20 août 1942 au 16 juin 1943, il fait partie du groupement 47 des chantiers de jeunesse « Pol Lapeyre » basé à Gabarret (Landes), puis à Casteljaloux (Lot-et-Garonne).
Du 17 juin 1943 au 1er juillet 1945, il fait partie de la délégation française auprès des travailleurs envoyés dans les Sudètes au titre du STO. Il est chef du service des camps puis commissaire assistant à Liberec-Reichenberg où se trouve une usine d’électromécanique.
Il est arrêté par la Gestapo le 13 mars 1945 avec le chef de la mission de Reichenberg et son épouse. Cela probablement pour avoir transmis des renseignements au Front Intérieur Allemand, sur instructions du colonel Paul Furioux (1881-1962) qui dirige depuis 1943 la délégation chargée de protéger les français déportés au titre du STO. GR l’a rencontré clandestinement à Berlin en janvier 1944. Par la suite, il rendra compte à son adjoint le commissaire Cottin qui le remplace en mars 1944.
Ils sont libérés le 8 mai 1945 (armistice). GR rentre en France le 1er juillet après avoir travaillé aux rapatriements des STO.
Source
▫ En marge de Mission des chantiers de jeunesse en Allemagne par P. Martin
Ce rapport ne tient compte, et très partiellement, que de mon rapide rapport au commissaire Cottin*. Il ne relate ni les circonstances de ma déportation volontaire le 17 juin 1943, ni l’action menée dans les Sudètes, ni mes démêlés avec la police Allemande, ni les ramifications de l’équipe de Reichenberg, ni leurs tenants et aboutissants (réseau de Bellechasse - Front Intérieur Allemand).
Ce qui ne m’empêche pas d’avoir été solidaire des autres CJF [Chantiers de la jeunesse française en Allemagne] et d’admirer ce que d’autres ont pu faire jusqu’à y laisser leur vie.
Je tenais ma mission directement du colonel Furioux, rejoint quasi clandestinement à Berlin, début janvier 1944, évadé de mon lieu de travail à Reichenberg.
Commissaire assistant Georges Rivière
* J’avais dû par sécurité détruire mon journal de route depuis le 17 juin 43. Ce rapport rédigé dans un état d’extrême lassitude ne pouvait faire état du résultat de nos entretiens et enquêtes ultérieures menées par moi. D’autre part j’ai perdu le contact rapidement avec le commandant Cottin après 1946. Je ne devais le retrouver qu’en 1990, qu’après bien des recherches ignorant le signe de l’association, et plusieurs qui m’ont connu croiront en lisant ce livre que je suis peut-être mort en KL [Kriegsgefangenenlager, camp de prisonniers de guerre]. Il s’en fallut de peu.